Un an après la signature du Traité du Quirinal, le traité bilatéral entre la France et l'Italie entre dans une période charnière. Celle de sa mise en oeuvre progressive. La série d'articles « La parole aux acteurs de la coopération » vise à explorer la manière dont les acteurs locaux appréhendent le Traité du Quirinal.
Raffaele Viaggi est italien et vit en France depuis 2012. Urbaniste-géographe, il met à profit ses compétences pour appuyer les démarches de coopération transfrontalière, de développement local et de mobilité durable. Il est aujourd'hui Chargé de mission Etudes transfrontalières et projets européens au sein de la Mission Opérationnelle Transfrontalière (MOT).
Pouvez-vous me décrire brièvement l'objectif de la Mission Opérationnelle Transfrontalière ?
La Mission Opérationnelle Transfrontalière a été créée en tant que comité interministériel mais aujourd'hui, on est sous la forme d'une association de 1901. On est aujourd'hui un réseau de territoires avec plus de 95 membres et de plus en plus de membres du côté italien. On a récemment la ville de Cuneo qui nous a rejoint, le parc Alpi Liguri et d'autres structures un peu plus au nord, au niveau du Piémont.
Notre cœur de mission, c'est vraiment la coopération transfrontalière, favoriser toutes les dynamiques et les démarches de coopération transfrontalière aux frontières françaises. Que ce soit au niveau des Pyrénées, des Alpes, du Jura et aussi toutes les frontières du Nord avec la Belgique et le Luxembourg.
On est vraiment une action multi-niveau, on essaie de faire entendre les problématiques locales au niveau régional. Au niveau national, on a toujours des ministères et des structures nationales qui nous soutiennent et puis aussi on a un lien très étroit avec la Commission européenne et notamment la DG Regio de la Commission européenne sur les affaires territoriales.
Quels sont les projets emblématiques de la MOT ?
En termes de projet un peu emblématique, on est vraiment sur de l'accompagnement des territoires et des grandes agglomérations. On a accompagné Nice, Strasbourg, Lille et aussi le Pays Basque dans des stratégies territoriales, des schémas de coopération transfrontalière.
On a aussi un volet juridique avec une collègue juriste qui accompagne notamment tous les territoires qui souhaitent se structurer pour que la coopération transfrontalière ait un cadre grâce à la création d'associations, de GECT (Groupement Européen de Coopération Territoriale)... Et puis, il y a aussi la résolution d'obstacles. Comme il y a deux cadres juridiques nationaux voire trois parfois, on fait tout de suite face à des obstacles d'ordre administratif, juridique.
Selon vous, dans quel secteur le partenariat entre la France et l'Italie est-il le plus en difficulté ?
En raison du contexte géographique, la frontière franco-italienne est une frontière bien spécifique. C'est-à-dire que ce n'est pas la frontière la plus évidente en termes de coopération transfrontalière. Il y a des massifs dans lesquels on peut avoir une identité commune comme les Pyrénées avec l'identité basque et catalane qui facilitent les liens malgré la présence d'un massif important.
Cet effet barrière est un peu plus fort au niveau de la frontière franco-italienne et il est réel parce qu'effectivement les points de passage, qui permettent tout échange, sont limités avec des cols qui ferment plusieurs mois dans l'année et des liaisons directes qui n'existent plus comme entre Briançon et Oulx. Les enjeux européens de flux migratoires ont aussi un impact sur les services publics locaux et les frontières.
Au contraire, dans quel secteur le partenariat entre la France et l'Italie est-il le plus fructueux ?
Il y a néanmoins de belles réalisations, notamment via le programme Alcotra qui facilite énormément sur cette frontière l'émergence de projets, en matière de biodiversité, notamment. On a un peu plus de mal sur le volet mobilité parce que les programmes Interreg sont dotés de budgets assez limités et la mobilité nécessite souvent de grandes infrastructures.
Tout au nord, au niveau de l'espace Mont-Blanc, l'espace a une ancienneté assez importante et il a trouvé sa façon de fonctionner notamment avec son côté Suisse. L'espace Mont-Blanc est un espace de coopération solide dans lesquels il y a eu des belles réalisations, des séjours transfrontaliers pour les jeunes notamment. Enfin voilà, des choses assez concrètes pour rapprocher les populations.
Comment accueillez-vous le Traité du Quirinal ?
C'est une grande avancée ! Nous on a un surtout été impliqué d'abord sur le traité d'Aix-la-Chapelle donc entre l'Allemagne et la France et qui a vu l'émergence d'un comité de coopération transfrontalière dans lequel on retrouve effectivement toutes les entités locales, régionales, nationales et qui peut faire remonter leurs besoins, leurs obstacles, etc. Donc on a cette première expérience franco-allemande. Aujourd'hui, on essaie d'accompagner les ministères dans la mise en place du nouveau comité franco-italien.
L'enjeu c'est de savoir qui sera présent autour de la table dans ce comité de coopération transfrontalière. On a aujourd'hui aussi des démarches avec la CARF (Communauté d'agglomération de la Riviera française) qui souhaite structurer cette coopération, notamment avec la province d'Imperia. A l'échelle de toutes les frontières françaises, c'est le seul segment de frontières qui ne dispose pas de structure de coopération propre. C'est donc un territoire sur lequel il y a des marges de progression et où on peut apporter notre expertise, notre regard.
Aujourd'hui le traité a été ratifié des deux côtés, il n'est pas encore entré en vigueur mais ça devrait l'être d'ici début 2023, il manque encore la publication au Journal Officiel.
Avez-vous une idée de la date de lancement du comité de coopération ?
L'ambassadeur Voiry, donc au niveau français, souhaiterait que ce soit fait au premier semestre 2023, voire même assez rapidement. L’enjeu étant de définir la composition de ce futur comité, car toutes les collectivités ne pourront pas y être représentées. Entre France et Allemagne, cette représentation du niveau local se fait notamment via les Eurodistricts, structures de coopération transfrontalière locales.
Entre la France et l'Italie il y a quelques structures, il y a la Conférence des Hautes Vallées autour de Briançon, la Maurienne, l'espace Mont-Blanc tout au nord et dans le Sud, il y a le GECT du Mercantour mais qui est un parc donc il n'est pas tellement représentatif de tout ce qui se passe au niveau du littoral.
Dans une conférence précédente, vous aviez parlé d'un site pilote entre la France, Monaco et l'Italie. Pourriez-vous m'en dire plus à ce sujet ?
Oui, il s'agit d'un projet qui fait partie de notre programme de travail de la MOT. Ça s'appelle « Expérimentation bassin de vie ». L'idée c'est justement de se dire que ces territoires transfrontaliers vont au-delà des flux pendulaires et concernent aussi la vie quotidienne. On peut aller tout simplement faire des achats de l'autre côté de la frontière, visiter de la famille de l'autre côté, se soigner, voilà c'est très divers. C'est l'un des sites pilotes qu'on a retenu sur les cinq aux frontières françaises. On a le soutien de la région, de la métropole de Nice, de la CARF, de la Ligurie prochainement et de la province d'Imperia côté italien. On va les accompagner tout au long de l'année 2023 pour essayer de définir ce bassin de vie transfrontalier et par la suite, orienter un peu les politiques au niveau national et européen.
Pensez-vous que le Traité du Quirinal va accélérer cette organisation entre la France et l'Italie. Est-ce qu'il va apporter de nouveaux projets ou au contraire la coopération va continuer tranquillement ?
Là où il va être vraiment un accélérateur, ce sera plutôt sur la résolution des blocages et des obstacles plus que sur des projets nouveaux parce qu'effectivement les projets se réalisent via les programmes Alcotra, via des financements propres. Là où le traité va vraiment avoir un impact, c'est sur la possibilité de faire remonter les obstacles rencontrés au niveau local aux régions, aux ministères. On a vraiment besoin de tous les niveaux.
Les projets pourraient être beaucoup plus transfrontaliers aussi. Si on prend l'exemple de la santé, c'est la seule frontière française sur laquelle on n'a pas d'accord cadre sanitaire entre les deux pays. C'est un blocage majeur. Il y a beaucoup de patients italiens à l'hôpital de Briançon, mais ils ne peuvent pas être remboursés pour leurs soins ou du moins la prise en charge comporte une série d'obstacles.
Comment expliquez-vous ce manque d'accord cadre sanitaire entre la France et l'Italie ?
Je tente une explication. En premier lieu, les flux ne sont pas comparables. Entre France-Suisse ou France-Luxembourg on a plus de 120 000 personnes qui traversent la frontière chaque jour alors que les flux sont quand même assez limités entre la France et l'Italie. Et puis, les deux systèmes de soins français et italien sont quand même très différents. On a un système en Italie qui repose sur les régions, en France, c'est au niveau national.
Les projets sont nombreux entre la France et l'Allemagne, le Luxembourg et la Belgique. En revanche, entre la France et l'Italie, ils se font plus discrets. Sauriez-vous expliquer cette différence ?
Je dirais tout d'abord la géographie, comme on le disait tout à l'heure. Entre la France et la Belgique, c'est la plaine. On peut traverser la frontière très facilement, il y a un point de passage tous les 200 mètres. La perméabilité de cette frontière est une première réponse. Une deuxième c'est aussi la barrière linguistique qui n'existe pas entre la France et le Luxembourg et entre la France et la Wallonie.
Ensuite, il y a tout un volet politique. Si on prend l'exemple de la métropole de Nice, depuis 2014, elle est de plus en plus présente sur les projets Interreg Alcotra alors que cela n'était pas du tout le cas dans la programmation précédente. Donc c'était vraiment un choix politique finalement d'investir le champ du transfrontalier parce que derrière il y a quand même des retombées locales. Il y a beaucoup de financements européens et ils sont assez conséquents. Aujourd'hui, la métropole de Nice porte 26 projets entre Alcotra et Maritime. La CARF aussi était beaucoup moins active au sein de notre réseau auparavant, alors qu'aujourd'hui on sent vraiment une vraie dynamique au niveau local, une envie d'aller de l'avant et ils sont en train de se structurer pour mieux coopérer. Il y a une série de dynamiques très positives.
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