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La parole aux acteurs de la coopération : Lesia Sargentini

Photo du rédacteur: Théo BriandThéo Briand

Un an après la signature du Traité du Quirinal, le traité bilatéral entre la France et l'Italie entre dans une période charnière. Celle de sa mise en œuvre progressive. La série d'articles « La parole aux acteurs de la coopération » vise à explorer la manière dont les acteurs locaux appréhendent le Traité du Quirinal.


Lesia Sargentini est la Directrice de cabinet de la Présidente de l'Assemblée corse Marie-Antoinette Maupertuis. De responsable de communication pour le programme Maritime à Chargée d'affaires Invest pour Business France à Milan, Lesia Sargentini connaît bien l'Italie et les relations que le pays entretient avec la France. Elle a également étudié et vécu dix ans dans le bel paese.



La Corse dispose d'un statut particulier avec des compétences élargies par rapport aux autres régions françaises. En tant que collectivité de Corse, est-il plus facile de développer des partenariats avec l'Italie ?

Je ne suis pas certaine qu'il y ait une réponse technique à la question et que le domaine de compétence élargi facilite ou ne facilite pas mais je pense qu'il y a un naturel assez évident à coopérer avec l'Italie.


La Corse est une île en Méditerranée qui a une histoire particulière avec l'Italie puisqu'elle a été sous influence italienne à différentes époques. La conscience de cette spécificité explique aujourd'hui cette naturelle attitude et proportion à la coopération ou à la recherche de solutions de coopération avec l'Italie parce que la Corse est à 11 km de la Sardaigne et à 80 km des côtes de la Toscane. Il y a des échanges et des façons de fonctionner sur le plan économique, politique et culturel qui font que naturellement, on se tourne vers l'Italie.


Autre chose, la question linguistique peut expliquer le lien avec l'Italie puisque le corse fait partie intégrante des langues italiennes, ce qui explique une certaine forme de proximité. Les Corses sont de très bons locuteurs italiens.


Comment accueillez-vous le Traité du Quirinal ?

Très bien ! C'est quelque chose qui semble relativement évident pour nous que la France et l'Italie se mettent à coopérer de cette façon en renforçant ce binôme. Ce sont deux pays qui sont des partenaires stratégiques, que ce soit en termes d'exportation, que ce soit en termes de rachat d'entreprise, de présence de capitaux.

De manière globale, en me détachant du fait d'être Corse, je pense que c'était sur le plan politique international et en Europe, en particulier, assez évident que les deux pays à un moment rendent hommage à leur proximité économique, historique et à leur grande proximité culturelle.


Cette célébration de coopération avec un pays du sud démontre qu'il y a des enjeux importants y compris dans l'Europe du sud. Ça permet aussi de replacer une certaine centralité en Méditerranée, de dire que la Méditerranée compte.


Pensez-vous que le Traité du Quirinal puisse accélérer la collaboration entre la Corse et l'Italie ?

Le Traité a le mérite de lister un certain nombre de thématiques, d'éclairer les enjeux principaux de la coopération entre les deux pays. Après, il y a des problématiques très spécifiques qui ne sont pas pointées dans ce traité. Pour renforcer la coopération avec l'Italie, pour nous, par exemple, ça passe par les transports.


Dans le traité, il est fait mention du transport ferroviaire, il est évident que pour une île, on n'est pas du tout sur une question de transport ferroviaire mais de transport maritime. On ne pourra pas coopérer sur le long terme de manière structurée et durable avec l'Italie si on n'a pas des connexions facilitées avec les régions limitrophes italiennes. Donc, le traité en lui-même offre énormément de perspectives, je pense que c'est en entrant dans l'opérationnalisation du traité que la voix des territoires sera entendue pour que les projets ressemblent aux territoires limitrophes.


Le fait que la frontière maritime ne soit pas indiquée, cela semble un petit peu nier l'aspect stratégique que représente la Corse. Or, sur les enjeux environnementaux cités, par exemple, le canal de Corse est un des axes les plus fréquentés, on est en plein sanctuaire Pelagos, c'est là où il y a de véritables enjeux entre les deux pays. On y voit un grand intérêt dans ce traité, mais le fait qu'il n'y ait pas de volet maritime nous laisse un petit peu perplexe.


Avez-vous décelé des articles qui pourraient être utiles au rapprochement de la Corse avec les régions italiennes ?

Oui clairement, j'ai décelé évidemment dans les objets de la coopération renforcée toute la mention qui est faite à la dynamique environnementale et à la coopération sur le plan de l'environnement. C'est essentiel pour un territoire comme une île, on sait que les îles sont souvent des laboratoires, elles sont soumises à pas mal d'aléas liés au changement climatique donc je pense que pour nous ce volet-là a du sens.


Il y a la partie qui concerne la recherche et l'innovation avec la coopération entre les universités. Nous on n'a qu'une seule Université en Corse et c'est une Université qui depuis l'origine a eu l'habitude de collaborer avec l'Italie donc je pense qu'il y a un véritable enjeu sur ce plan-là.


Il y a aussi une question sur la promotion linguistique. Pour nous ça peut avoir un autre enjeu qui est celui de valoriser la langue corse puisqu'elle peut faciliter la collaboration avec l'Italie. C'est aussi lui redonner une autre optique de valorisation.


En ce qui concerne l'économie, pour nous, ça peut être une stimulation supplémentaire pour envisager le marché italien pour nos entreprises exportatrices. Donc il y a pratiquement dans l'ensemble du traité des points et des thématiques dont on pourra se saisir en fonction de nos spécificités et indépendamment de l'article 10.


Avez-vous déjà entrepris de nouveaux projets grâce au Traité du Quirinal ou pensez-vous que le traité va déclencher de nouveaux projets ?

Alors moi, je pense que la vraie question, c'est de savoir comment, à travers le Traité du Quirinal, on va pouvoir continuer à faire plus de projets et mieux et donc je pense que c'est le véritable enjeu parce que des projets il en existe déjà.


Aujourd'hui, le traité a été signé, ratifié maintenant il faut qu'il rentre dans sa phase opérationnelle. Il faut que tout le monde s'en saisisse mais il faut qu'on comprenne dans quel cadre on va pouvoir s'inscrire et je pense qu'il y a une attente sur : « j'ai tel projet. Est-ce qu'il rentre dans le traité et si oui, de quelle façon ? »


Lors de vos collaborations avec l'Italie, avez-vous été confrontée à des difficultés ou des obstacles dans l'élaboration des projets que vous souhaiteriez modifier ?

La grande difficulté, ce n'est pas un problème de compréhension ni un problème d'organisation institutionnelle. Il y a des spécificités mais au final ce sont des systèmes assez semblables : il y a des régions, des communes, des regroupements… La difficulté, c'est sur le réseau de compétences. Une région italienne a beaucoup plus de pouvoir que n'importe quelle région française même à statut particulier. Les régions italiennes ont la possibilité d'expérimenter des choses qui sont absolument impossibles en France. La santé, par exemple, est régionale en Italie. Donc on parle à des échelons différents et il n'y a pas forcément toujours les bons interlocuteurs en face et ça peut parfois empêcher la mise en œuvre de solutions innovantes.


Le couple Macron-Draghi a permis de faire progresser les relations franco-italiennes, seulement le couple Meloni-Macron est déjà parti du mauvais pied. Pensez-vous que le Traité du Quirinal puisse outrepasser les rivalités politiques et avoir un avenir ?

Il y a le long terme et il y a le court terme. Je pense que de s'inscrire dans le long terme dans une logique durable de coopération et de renforcement de ce binôme, c'est important. Il y aura des stops and go je pense et peut-être qu'aujourd'hui on est dans une phase de stop. Mais je ne suis pas certaine que ce soit dans l'intérêt des deux côtés que le traité soit remis en cause parce que ça a été un pas suffisamment important en Europe pour revenir en arrière.


Après il est évident que ce sont les aléas de la politique. On n'est pas forcément toujours alignés avec les résultats des élections dans certains pays. Après l'Italie reste l'Italie et la France reste la France avec les proximités qui sont les leurs.


D'un point de vue économique, il n'y a pas d'intérêt à remettre en cause cette collaboration. Lorsque l'on parle à des décideurs culturels ou des chefs d'entreprises, il n'y a personne qui remet en cause cette collaboration.


Peut-être que ça sera un petit peu plus fort que dans le couple franco-allemand qui depuis la Seconde Guerre mondiale a connu plus de de continuité. Peut-être que ce sera un petit peu plus « créatif » parce qu'on est face à justement deux pays qui vont s'exprimer, y compris politiquement, de façon différente mais j'espère que le traité ne sera pas abandonné pour des questions d'ordres conjoncturelles.



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© 2023 par Théo Briand

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